L’amour sous la tente…

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Ça va faire presque un an que nous avons présenté Neecheemus à l’Espace Go, mis en scène par Emilie Monnet. Nous étions 8 femmes à prendre la parole sur les concepts de l’amour et de l’érotisme en particulier chez les autochtones, chacune à notre façon sous la musique d’Anachnid et de Frannie Holder. Nous avions l’impression d’être sous une tente. La scénographie a d’ailleurs été réalisé par Eruoma Awashish. Ce fut l’occasion pour moi de réfléchir et de traiter la sexualité chez les Atikamekw Nehirowisiw en posant des questions à mon entourage, surtout à ma mère. Dans un striptease littéraire, j’ai pu mettre également en avant la langue Atikamekw en explorant les parties du corps, du regard jusqu’aux parties les plus intimes et la relation que j’ai avec ces mots. Je vous présente donc le texte que j’ai écrit et lu pour ce spectacle…

Au secondaire, j’ai eu droit à des cours sur la sexualité comme tout le monde. C’était basique, disons-le comme ça. J’ai appris comment fonctionnait les menstruations, comment se protéger de la grossesse et des ITS, comment mettre un condom sur une banane.

 

Je comprenais le but de ses cours.

 

Mais en dehors de cela, nous n’avions aucune éducation sexuelle de la part de notre entourage sur la communauté.

 

D’ailleurs, j’ai une petite anecdote à vous raconter. Ma famille doit se souvenir encore de cette fois-là. Vous allez comprendre pourquoi. C’était bien avant d’avoir les cours d’éducation sexuelle à l’école, car j’étais très jeune, je devais avoir 4 ans. Je suis allée voir une de mes tantes un jour pour lui dire que je savais comment on faisait l’amour. Elle me demanda alors de lui expliquer comment on faisait l’amour. Donc moi en atikamekw je lui explique ces 4 étapes

 

« Otcemitonanion. Minaspisonanion. Akoninanion. Atciporonanion. ».

 

(Traduction) « On s’embrasse. On se déshabille. On se met sous les couvertures. On bouge ! »

 

Toute ma vie, -et encore aujourd’hui-, ce que j’ai raconté à ma tante m’a suivi car elle l’a raconté à ma mère et au reste de la famille. Parce que non seulement ce fut cute, mais ce fut surtout très drôle. Si drôle que « Atciporonanion » (Bouger) est devenu une expression dans ma famille pour faire référence à « faire l’amour ».

 

Je vais donc parler de mot. Car j’ai encore un petit blocage quand je dois prononcer le mot bouger en atikamekw. Ça me donne envie de rire et ça me fait penser à cette histoire.

 

De plus, dire ce mot me fait ressentir de la gêne, le même que lorsque je dois prononcer les mots qui désigne nos organes sexuels. Tout comme Atciporo, j’ai une légère hésitation. Il me faut une bonne inspiration avant de me lancer.

 

Je vais donc vous nommer les parties du corps avec lesquelles j’ai un peu de misère. En fait, nous allons explorer quelques parties du corps tous ensemble.  

 

Nous allons débuter par le haut du corps et descendre tranquillement.

 

Ockicikw (ouche- ki-giuuque) : Ockicikw, ce sont les yeux. Parfois ça commence par là. Le désir passe parfois par le regard. Je me souviens encore du premier regard que j’ai échangé avec mon mari. C’est comme une décharge électrique et le cœur se met à battre très vite. Puis alors on détourne le regard, les joues rouges, un sourire gêné aux lèvres.

 

Oton (ou-doune) : Elles peuvent être douce, charnus, chaudes. Les lèvres, c’est ce qu’on prend le temps d’apprécier chez l’autre avec nos propres lèvres. Les coller ensemble, les caresser l’un contre l’autre. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai besoin de mon bec quotidien avec mon mari. En plus, lorsqu’on prononce « oton » la forme que la bouche fait est parfaite pour un baiser.

 

Oterni (Oderni) : C’est fascinant combien échangé de la salive rapproche des gens. La langue, c’est ce qui suit un bec qui se transforme ensuite en caresse, puis qui peut faire « bouger » les gens.

 

Okwi (ou-guoui): Une des zones érogènes de notre corps, stimulée par des baisers. C’est un pont entre notre tête et le reste du corps. Nous pouvons donc ainsi voyager.

 

Otcitcic : Les djeedjeeche. La partie chez la femme qui représente tant. Je vais y révenir plus en détail plus tard, mais autrefois nous pouvions les montrer sans problème, sans choquer. Aujourd’hui, c’est intime.. D’ailleurs, le mot maman en atikamekw « tcotco » fait référence aux tcitcic. Cette partie du corps représente tellement de chose, tellement de force.

 

Omisti (Oumisdi) : Le ventre. Nous devons le dire, qu’elle soit de taille forte ou mince, les femmes autochtones sont belles. Nos ancêtres aimaient les femmes bien en chair. Nos critères de beauté se baisait souvent sur la vie en forêt.

 

Nous arrivons enfin aux mots les plus croustillants. Le prochain qui suit en particulier.

Popoktci (Pou pou kti) : Je trouve ce mot vraiment drôle. Popoktci. J’ai beaucoup de misère à dire sans vouloir rire. Je le trouve un peu ridicule. Je ne sais pas pourquoi. Je trouve cela moins sexy que nombril. Mais c’est ça notre mot en Atikamekw pour désigner ce.. ça.

 

Prochain mot.

 

Oriktci (O-rik-ti): J’ai un sentiment mitigé. C’est à la fois mignon et bizarre.

 

 

Mais le mot oriktci tire originellement du mot orikapi. Soit la partie de l’animal qui contient les orifices « intimes » des animaux. Autrement dit Oriktci désigne le sexe de la femme et orikapi, le sexe des animaux. Mais je préfère bien mieux le mot qui désigne celui des animaux.

 

J’essaie malgré tout d’apprécier le mot oriktci, même si je trouve parfois qu’il n’honore pas assez notre belle vulve et tous ce qui relie à cet organe. Je dis bien relie, car je ne connais même pas le mot pour clitoris. Donc mon seul moyen de désigner cette partie du corps, la source principale de mon plaisir est oriktci.

 

Pour les hommes, nous avons des mots mignons pour parler du pénis. À leur jeune âge, le premier mot qu’on leur apprend est « cocotte ». Ce n’est même pas atikamekw. Nous sommes trop embarrassés de nommer ces parties du corps, que nous choisissons autre chose.

 

Alors que c’est important à mon avis, de connaître les mots.

 

Aujourd’hui, je me pose la quesrtion : Comment fonctionnait l’éducation sexuelle autrefois avant l’arrivée des colons.

 

Même pendant la colonisation, comment ça fonctionnait ? Parce que ça ne fait pas si longtemps que nous habitons dans des réserves. Je me demande donc à quoi ressemblait la sexualité durant les longs déplacements entre les saisons sur le territoire ancestrales.

 

Selon ce que j’ai appris, le sexe était quelque chose de naturel. C’était même une question de survie.

 

Autre fois, nos ancêtres faisaient l’amour sous la tente, sous les couvertures. Si ils avaient déjà des enfants, ça se passait pendant que ces derniers dormaient. Cela se faisait en silence, dans un respect mutuel.

 

Le couple, chacun de leur côté avait de l’assurance. Ils savaient quoi faire, comment le faire tout éprouvant du plaisir.

 

Bien que le sexe fût un besoin primaire, il y avait de l’affection. Il y avait de l’amour. Ils avaient leur sexualité. La femme n’était pas prise à quatre pattes, pendant que l’homme était derrière elle. Faire l’amour, face à face était pratique courante, l’attachement venait ainsi dans le couple.

 

Ils faisaient cela sur la peau en fourrure, que ça soit celle du castor ou de l’ours, sur le sapinage, tout se passait près de la terre. C’est ainsi qu’ils faisaient des enfants. C’était ainsi qu’on faisait part au cercle de la vie.

 

Et ça, c’était avant l’arrivée des robes noirs. Les Robes noirs ont transformé la sexualité chez les Atikamekw Nehirowisiw. Il fallait cacher son corps. Même pour allaiter son enfant. Ces robes noires leur disaient que c’était mal. Le sexe était dégoutant et uniquement réservé après le mariage.

 

Mais l’histoire qui m’a été transmis est loin d’être dégoutante. Je n’y vois que du respect, affection et de l’amour. De la fierté dans les corps. Et c’est ce que j’aurai aimé qu’on me transmette.

 

Aujourd’hui, il existe encore des enseignements sur la sexualité pour les femmes et les hommes. Ces enseignements ont survécu. Si nous sommes bien guidés, nous pouvons aller chercher les personnes ressources afin de prendre en main ces savoirs.

 

Aujourd’hui, en tant que femme, en tant qu’Atikamekw Nehirowisiw, je veux pouvoir apprendre ces histoires. Je veux pouvoir être confortable dans mon corps. Être confortable lorsque je nomme les parties du corps. Être confortable dans cette sexualité et aimer davantage faire l’amour et prendre part au cercle de la vie. À mon tour, je transmettrais ces savoirs, pour la prochaine génération, pour ma fille.

 

Mikwetc.

 

 

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