Là d’où nous venons

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Combien de temps ça dure déjà cette histoire ? J’ai habité Wemotaci toute mon enfance. Ma mère vient de Manawan, donc nous allions souvent visiter la famille. Je me souviens de la route qu’il fallait faire entre Wemotaci et Latuque, ou encore Wemotaci et Manawan. J’ai occupé le territoire étant enfant avec ma famille. Été comme en hiver, automne comme au printemps. Chaque saison est dans mon sang.

 

En voiture, mon regard d’enfant a eu le temps de s’imprégner du territoire, de la forêt, notcimik.

 

Mais aussi je me souviens des camions transportant le bois. J’avais parfois peur lors des dépassements. Je ne réalisais pas encore l’ampleur de ces transportations. La coupe à blanc. Dans ma tête d’enfant, j’étais loin d’imaginer l’impact que ça aurait aujourd’hui.

 

 Je suis Atikamekw Nehirowisiw. J’ai 32 ans et je suis mère d’une jeune Atikamekw Abénakise. Le choc que j’ai eu en retournant vers ma communauté. Je ne reconnaissais plus le chemin. J’avais perdu mes repères construits lors de ma jeunesse. Il y a un moment où nous atteignons le sommet d’une côte et tout autour est rasé par la coupe à blanc et nous pouvons voir les ravages sur plusieurs kilomètres. Je ne peux pas m’empêcher de penser aux animaux, aux orignaux en particulier. Eux aussi perdent leurs repères.

 

Vers Manawan, le chemin est encore pire que dans ma jeunesse. Le chemin, comparé à celui de Wemotaci est plus étroit. Du printemps à l’automne, faire cette route est un périple. Je pense à ma famille qui doit prendre ce chemin pour se rendre aux provisions, se rendre à l’hôpital ou tout simplement se rendre vers Saint-Michel-des-Saints. Je pense à mes grandes tantes qui ont péri sur cette route, je pense à tous ceux qui ne sont jamais arrivés à destination. Wemotaci y compris.

 

Donc, lire ce statut facebook de monsieur Champoux, qui remet entre nos mains « notre bon voisinage et notre bonne collaboration » me fait réaliser que notre regard restera toujours incompris. Selon lui, l’industrie forestière est un bénéfice pour la communauté de Manawan, qui bloque actuellement le chemin au kilomètre 60 afin de placer un moratoire contre la coupe à blanc.

 

Toujours selon monsieur Champoux, les atikamekw de Manawan et lui sont à un point de non-retour et que la décision de la communauté aura un impact sur nos générations futures.

 

Justement !

 

Nous sommes les protecteurs du territoire. Notre culture vit grâce au territoire. La décision de le protéger aura un impact sur nos générations futures. À l’heure actuelle, la nouvelle génération s’imprègne du territoire et nous ne voulons pas qu’à leur tour ils soient choqués plus tard. La langue Atikamekw vient de la forêt, car comme les arbres, ses racines viennent de l’occupation du nitaskinan.

 

Monsieur Champoux, peut-être que vos poches seront pleines de dollars. Peut-être que vous aurez accompli une carrière florissante avec la coupe à blanc. Peut-être que vous vous préoccupez vraiment de l’avenir, des générations futures des Atikamekw. Mais vous devriez plutôt vous demander ce qu’ils deviendraient sans le territoire.

 

Car la forêt, c’est là d’où nous venons. C’est pour cette raison que nous l’appelons Notcimik.

 

Je vais éviter la partie qui mentionne que leurs populations sont sujettes à du mépris, à du racisme et de la confrontation de notre part. Car c’est connu : dès que les autochtones ou tout autre peuple qui ont vécu de l’oppression demandent le respect de leur droit, d’être considéré comme égaux, les personnes dominantes ont tout d’un coup l’étrange sentiment d’être oppressées. Je les invite à se mettre dans nos mocassins avant de crier au racisme.

 

Ekote Mikwetc !

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