Le prix de l’intégrité

Création : Catherine Boivin

Création : Catherine Boivin

Je reviens sur le sujet des individus qui se sont présentés comme ayant des origines autochtones ou métis, en particulier ceux qui ont tiré (ou tirent) profit de cette fausse identité. Je vous partage mes réflexions, ce que j’ai observé et vécu dans la dernière année. 


Les dénonciations n’ont pas été des moments faciles pour moi. J’ai ressenti de la déception, de l’impuissance, du découragement et de la solitude. En effet, beaucoup peuvent constater que les dénonciations de Rivard, Saint-Louis ou encore des sœurs Parent ont donné lieu à la parution de lettres ouvertes et à des commentaires défendant ces personnes. Nous pouvions y lire des termes comme colonialiste, raciste visant à décrire ceux qui dénonçaient ces individus publiquement. Donc ceux qui dénonçaient, c’est-à-dire qu’ils révélaient que ces individus n’étaient pas issus de leur communauté ni de leur nation, ont été l’objet de « backlash » intenses autant de la part d’Autochtones que d’allochtones. 

 

Comme je l’ai expliqué dans un précédent billet, des accusations de violence latérale ont été portés contre des personnes dénonçant Nadine Saint-Louis, les sœurs Parent et Sylvain Rivard. Je juge que le terme « violence latérale » est inapproprié, car pour qu’il y ait de la violence latérale, il aurait fallu que les personnes dénoncées soient Autochtones. Je rappelle les faits : quand les origines abénakises de Sylvain Rivard ont été démenties, un collectif a été formé pour le soutenir. Parmi les signataires, on retrouvait onze (11) Abénakis, des Autochtones non-abénakis, et des allochtones. Dans une lettre, ils désiraient donner un statut abénakis honorifique à Sylvain Rivard pour sa contribution à la culture abénakise, et ce, malgré le fait qu’il ait menti sur son identité depuis le début. Ce dernier disait venir de la famille Capino, sans que personne se pose de question, car c’était une possibilité. Il s’est bâti une sorte de crédit culturel au fil des années en se présentant comme ayant des origines abénakises, ce qui lui accorderait aujourd’hui un passe-droit… Bon!

 

Pour en revenir au collectif, personnellement, je trouvais cela culoté de la part des signataires allochtones, mais surtout des autochtones non-abénakis. 

 

Tout ce que je demanderais à ces derniers : « Eh! si ça avait été votre communauté? Si ça avait été votre nation à qui on avait menti pendant tout ce temps? Si on avait donné du travail, des subventions à une personne qui n’est pas issue de votre nation? Là, je pense que ça aurait été différent ». Je peux comprendre que ces signataires non-abénakis ne se soient pas sentis bernés dans cette histoire, car il aurait fallu que leur nation en soit tout d’abord touchée. À partir de ce moment, ils auraient eu tout le loisir de s’y opposer ou non. Je crois que c’était une erreur d’inclure des membres d’autres nations, car c’est là que ça devient à mes yeux une forme de violence latérale. Dicter ce que les autres nations devraient faire. S’opposer à la décision d’une nation en ce qui a trait à l’appropriation culturelle et à l’usurpation identitaire de leur nation. Les Abénakis sont parfaitement en mesure de parler pour eux et de régler cette chose entre eux en incluant ceux qui défendent Rivard, sans qu’il y ait de l’ingérence.

 

Étant donné que les différentes parties ont été présentées dans les médias, les personnes en soutien à ces individus renvoyaient comme message aux allochtones qu’ils pouvaient eux aussi se mêler de cette histoire. Beaucoup se sont permis de mettre leur grain de sel. J’ai vu par exemple des commentaires envers les représentants de la nation à l’effet qu’ils ne devraient pas s’en prendre à quelqu’un qui en connait plus sur leur culture qu’eux-mêmes. Aussi, qu’ils devraient être reconnaissants envers Rivard, car sans lui la culture ne pourrait pas se partager. Je ne sais pas si ces personnes ont bien réfléchi à leurs propos. Autrement dit, les Abénakis ne seraient rien sans Sylvain Rivard. Apparemment, ils ne peuvent pas se permettre d’être autonomes, de parler pour eux, de représenter eux-mêmes leur culture, parce que selon des allochtones, Sylvain Rivard en connaitrait plus sur la culture abénakise qu’un Abénakis lui-même. Ce genre de commentaire laissait surtout entendre que les Abénakis n’étaient pas légitimes du tout, qu’ils ont besoin de l’homme blanc pour survivre. Qu’ils ne sont rien… 

Je peux comprendre que Sylvain Rivard faisait briller la culture en dehors de la communauté d’Odanak ou de Wôlinak, mais qu’en est-il des Abénakis qui vivent leur culture dans leur communauté, sans échange monétaire?

 

À travers cela, j’ai pu également observer bon nombre de commentaires de la part d’Autochtones qui visaient seulement à faire passer les Abénakis comme des personnes méchantes, jalouses de Rivard et qui ne font que répéter les actions du colonialisme, que la victime serait Sylvain Rivard. D’autres ne demandaient que de l’amour, souhaitant aux Abénakis ou à ceux qui soutenaient ces derniers la paix dans leur cœur. Ce qui était clairement du « backlash » à mes yeux. Car dire publiquement que les Abénakis ont besoin d’amour laisse entendre qu’ils subissent une mauvaise influence, alors qu’ils exercent simplement leurs droits d’être contre l’usurpation identitaire, contre le mensonge. 

 

De plus, j’ai pu voir du côté des autoproclamés « Autochtones » et « Métis de l’Est » qu’ils utilisaient le moindre texte, la moindre sortie des Autochtones en faveur de Rivard, Saint-Louis ou les sœurs Parent, pour attaquer personnellement ou discréditer ceux qui dénonçaient. C’était pour eux des munitions pour atteindre et décrédibiliser les dénonciations et ils en profitaient pour se valider sachant que leurs origines sont questionnables également et avec raison. 

 

Plusieurs se sont aussi attardés sur la façon dont la dénonciation a été faite, soit sur les médias sociaux, car à cause de cela, la personne subit une perte de contrat. Ainsi, l’utilisation des médias sociaux serait de la diffamation. Cependant, lorsque Michelle Latimer a été dénoncée, ce fut via les médias sociaux. Sans ça, Kitigan Zibi n’aurait jamais pu révéler que Latimer ne venait pas de leur communauté. Va-t-on accuser les membres de cette communauté de violence latérale? Je ne crois pas. Après discussion avec d’autres Autochtones à ce sujet, nous avons réalisé qu’il n’existait aucun moyen de traiter ces mensonges de manière légale ou officielle, alors que le phénomène de s’autoproclamer s’est révélé être plus répandu qu’on le croyait. Se concentrer sur la façon qu’on s’y est pris discrédite très vite les démarches de dénonciation. 

 

Sur la scène anglophone, j’ai observé l’effet contraire de ce que l’on retrouve au Québec. La colère grondait davantage de la part des Autochtones, en particulier des artistes autochtones ou issus du monde du cinéma, face aux mensonges de Latimer. De plus, les discours rejoignaient beaucoup plus ceux qui dénonçaient les usurpations identitaires au Québec, au sujet de pourquoi ces situations sont inacceptables. 

 

Ici au Québec, les Autochtones qui décident de dénoncer des individus qui ne s’avèrent pas être des Autochtones reçoivent des mises en demeure. Moi j’en ai reçues deux de la part de Sylvain Rivard et Isabelle « Kun-Nipiu » Falardeau, dite la Métisse. À mon avis, ce n’était pas pour une injustice, mais dans le but de protéger leur gain et de me faire taire. Ces deux individus ne sont que des exemples parmi tant d’autres, comme on a pu le voir dans l’émission Enquête du 21 janvier 2021 « Métis : être ou ne pas être ». Mais eux sont des exemples d’individus autoproclamés qui sont nourris par leur besoin de garder leur emploi à tout prix. Un travail qu’ils ont obtenu parce qu’ils se sont autoproclamés « Autochtones » ou « Métis » ou d’origine autochtone. Tous les moyens semblent bons pour conserver leurs acquis et leur travail, notamment le mensonge et le détournement cognitif (communément appelé le « gaslighting ») qui semblent être leur principal moyen pour se protéger. Ils tentent de nous faire porter le chapeau de coupables de leurs propres actions et des pertes engendrées, alors que ce n’est pas nous qui avons menti dans cette histoire. 

 

Ce que l’on semble oublier rapidement, ce sont les effets de ces usurpations : comment elles affectent les Autochtones et leur besoin de s’auto-représenter. On oublie l’histoire que nous avons traversée pour enfin se voir offrir une place. Par exemple, se faire une place dans le monde des Arts autochtones est déjà difficile. Ces individus complexifient cet accès. En plus de soutirer des subventions, ils prennent la place qui nous revient, soit dans les jurys, en tant qu’artiste, en tant que curateur ou en tant que consultant autochtone. Ils décident des prémices de l’art autochtone, qui peut y entrer ou qui n’aura pas l’accès. On a déjà essayé de me faire sentir coupable : « Mais Catherine, tu as exposé pour eux et ils t’ont offert une place. » « Il a défendu ton œuvre contre une personne. » Encore là, on fait référence que sans eux, je n’aurais jamais réussi, et l’on omet de reconnaître le talent que je peux avoir en art, et que c’est surtout eux qui m’auraient permis d’exposer. 

 

Les gens semblent préférer écouter un mensonge qui rassure, plutôt que la vérité. En plus des attaques de tous genres que nous subissons parce que nous trouvons le mensonge inacceptable, nous devons également voir notre nom être sali pour protéger ces individus, au détriment des membres des Premières Nations. Je dois apparemment m’inquiéter pour mon avenir en tant qu’artiste, pour avoir ouvertement parlé et exprimé mon désaccord envers ces individus. C’est ça le prix de l’intégrité. 

 

Malgré tout, je me tiens debout. J’ai reçu à travers ce brouillard du soutien, des messages inattendus d’Autochtones ou d’alliés. Je réalise que je ne suis pas toute seule. Je remercie d’ailleurs ces personnes, car elles me donnent de l’espoir, elles me rappelent que c’est important de dénoncer et surtout de rester intègre. Aujourd’hui, il faut faire place au dialogue et se donner la permission de parler, de discuter, sans craindre de subir des représailles. Qu’est-ce que nous voulons pour garantir une place saine pour la prochaine génération?

 

Je m’adresse maintenant aux allochtones : Étant aujourd’hui sur le chemin de la réconciliation, de la décolonisation, il faut laisser la place qui revient aux Autochtones. Même si vous croyez que ces gens nous ont aidés, ils ont surtout causé des torts. Il faut surtout éviter de nous dire quoi faire, ce qui est bon ou non pour nous. N’oubliez pas que nous avons besoin d’alliés et non de personnes qui s’inventent une identité autochtone pour nous aider. 

Ekote, mikwetc !


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